Restaurant La Taverne Alsacienne à Ingersheim
Cépage produisant des vins souvent moelleux, à la limite du liquoreux, le gewurztraminer est également un vin aromatique parfaitement adapté à la table, surtout lorsqu’il est originaire d’un grand terroir et conservé suffisamment longtemps pour que sa complexité aromatique se dévoile. Cépage emblématique de l’Alsace puisqu’aucune région du monde n’arrive à produire autant de grands vins aux styles si variés, le gewurztraminer mérite d’être remis sur les tables des gastronomes, en particulier au moment où les cuisines du monde se mélangent pour offrir des saveurs exotiques, fruitées et épicées. De 2007 à 1967, quarante années de gewurztraminer ont accompagné un menu préparé pour l’occasion, qui a permis de se rendre compte qu’une soirée autour de ce cépage n’est pas une succession de vins sucrés aux senteurs de rose et de miel, mais qu’en variant terroirs et millésimes, les accords mets et vins se succèdent sur des équilibres forts variés.
Mise en Bouche
Le Gewurztraminer Grand Cru Furstentum Vieilles Vignes 1994 en magnum de Paul Blanck était malheureusement sévèrement bouchonné, nous débutons la mise en bouche avec deux vins de terroir granitique du même millésime. La tranche de foie gras sur toaste de pain d’épices s'accommode parfaitement bien du grand cru Brand, alors que le tartare de bœuf épicé et mis en relief par la fine salinité du Kaefferkopf. Pour deux vins de terroir similaire est de même millésime, cette première paire est intéressante car elle démontre tout l'intérêt de se préoccuper des sensations en bouche.
Gewurztraminer Grand Cru Brand 2007 – Dopff au Moulin : le nez est très élégant, très pur, avec une dominante d'arômes de rose, la bouche est tendre, pur avec un moelleux bien intégré mais très présent, finissant sur un équilibre quasi sec. Très Bien (30g/l SR)
Gewurztraminer Grand Cru Kaefferkopf Vieilles Vignes de Jean-Baptiste Adam 2007 – JB Adam : issu des parcelles propres du domaine travaillées en biodynamie, cette cuvée traduit la grande réussite du grand cru Kaefferkopf sur le millésime 2007. Le nez est fin, ouvert, surmûri avec une note très présente d'agrumes, et une pointe de miel. La bouche est ample, riche et saline, avec une fine acidité. La fin de bouche est longue et produite une bonne salivation. Excellent (43 g/l SR)
Nem de Canard confit et Gingembre, Salade d'Hiver et Jus réduit
Le nem de canard confit est un plat que nous avions déjà testé il y a quelques années, et que nous avons retrouvé avec grand plaisir sur cette nouvelle soirée gewurztraminer. Le gewurztraminer Rodelsberg 1998 de Marc Tempé et initialement prévu s'est révélé très fatiguer sur plusieurs bouteilles, j'ai donc remplacé avantageusement par le premier millésime de gewurztraminer produit par le Domaine Zind Humbrecht sur le Clos Windsbuhl. C'est une cuvée parfaitement sèche, d'une grande jeunesse, qui renvoie un équilibre légèrement doux sur le vin de Trimbach, généralement réputé pour être sec. La cuvée des seigneurs de Ribeaupierre fait ressortir le caractère amer de la salade d'hiver, et reste malheureusement en retrait sur le nem de canard confit. Le Clos Windsbuhl se montre très puissant, avec cette belle vivacité qui le caractérise, et dompte sans problème le canard confit et le gingembre, en faisant ressortir de manière intense le goût du canard. Certains palais affûtés regrettent que le chef n’ait pas plus forcé sur le gingembre dans le plat. La nature du plat appel sans équivoque un vin de gewurztraminer, d'équilibre sec certes, et si possible de millésime à maturité.
Gewurztraminer Seigneurs de Ribeaupierre 1998 – Trimbach : le nez est ouvert, fumé et épicé, la bouche est ample, avec une légère douceur, terminant sur une note fruitée de bonne longueur. Très Bien
Gewurztraminer Clos Windbuhl 1988 – Zind-Humbrecht : le nez est très expressif, avec des épices grillées, des fleurs séchées, et une note fumée. La bouche est ample en attaque, sèche avec une belle vivacité, évoluant sur un équilibre à la fois épicé et frais qui possède beaucoup de longueur. Excellent
Le filet de Lotte rôtie entière, Tempura de Gambas, Légumes confits et Parfum de Clémentine
La lotte se prête parfaitement à des préparations de style oriental, mêlant semoule et clémentine. À nouveau, la puissance des vins présentés, qui s'explique par la force de leur terroir d'origine, aurait permis de relever le plat de manière plus puissante. Le Hengst de Josmeyer se goûte sec, et forment un bel accord de position avec le caractère plus sucré du tempura de gambas et la sauce aigre-douce qui l’accompagne. L'Altenberg de Bergheim de Gustave Lorentz, issu d’une bouteille parfaitement conservée dans les caves du domaine (merci à Georges Lorentz), se montre d'une belle fraîcheur, d'une grande minéralité, et enrobe la lotte en lui rehaussant son goût sans jamais dominer. Ce sera un des beaux accords de la soirée.
Gewurztraminer Grand Cru Hengst 1993 – Josmeyer : la robe de nuance or clair, le nez est fumé, épicé, avec des notes de cumin, de girofle, et une pointe de fruits exotiques qui apparaît à l'aération. La bouche est sèche, ample et profonde, serré avec une pointe beurrée, finissant sec et légèrement tannique. Un beau vin à maturité. Très Bien (7 g/l SR)
Gewurztraminer Grand Cru Altenberg de Bergheim 1983 – Gustave Lorentz : la robe de couleur or pâle annonce un nez aérien, fruité, d'une grande jeunesse, prenant de l'ampleur à l'aération. L'attaque en bouche est ample et pure, puis le vin se montre charnu, minéral avec une acidité bien présente, terminant sur une grande longueur portée par des notes de menthe et de vanille. Un vin très élégant sur son plateau de maturité, qui devrait se conserver plusieurs dizaines d'années encore. Excellent
Sélection de Fromages
Les fromages choisis pour l'occasion par Jacky Quesnot étaient bien affinés, aptes à accompagner des vins de millésimes anciens : un comté 18 mois sec et épicé, un chaource puissant et crémeux, un maroilles sec et gras, et un Berschwiller alsacien salé, puissant et crémeux. Le gewurztraminer 1967 de Ringenbach-Moser se montrant légèrement oxydé, ce fut l'occasion d'ouvrir un deuxième vin de ce grand millésime. Le vin de Louis Sipp était le plus jeune de la série, et s'il était un bon compagnon de l'ensemble des fromages dont il se relevait le caractère fruité, il fut le compagnon parfait du maroilles, parfaitement affinés sans être trop fort. Le vin de Bott-Frères possédait une belle fraîcheur et beaucoup de finesse, plus de 40 ans d'âge il était un très bon compagnon du comté, mais surtout du Berschwiller dont il équilibrait parfaitement le coté salé. Le vin de Ringenbach-Moser, malgré son caractère oxydé, passé encore à la rigueur sur le comté. Le chaource n'a pas vraiment trouvé chaussure à son pied sur les vieux gewurztraminers, peut-être un verre d'un des deux vins du millésime 2007 servi en début de repas aurait été préférable.
Gewurztraminer 1983 – Louis Sipp : originaire des terres argileuses des lieux-dits Haguenau et Gruenspiel, le vin se présente jeune avec une robe dorée, un nez de miel, de fumée, de caramel, une bouche ample et saline, très sapide avec de la fraîcheur. On trouve de beaux arômes de groseille en finale, ce qui est surprenant. Excellent
Gewurztraminer 1967 – Ringenbach-Moser : la robe est dorée, le nez est fumé et épicé, puis prend rapidement un caractère réglissé avec un rancio très présent. La mauvaise qualité du bouchon confirme l'évent, ce qui est dommage car la dernière bouteille dégustée de ce cru était magnifique. Bouteille défectueuse
Gewurztraminer Grand Cru 1967 – Bott-Frères : la mention grand cru n'est pas suivie par un nom de lieux-dit, une pratique courante avant la création en 1975 de l'appellation Alsace Grand Cru qui servait à souligner les meilleurs vins d’un domaine. La robe est claire, le nez ouvert, sur des arômes de fleurs séchées et d'épices douces. La bouche est ample, sèche avec du gras, et une finale de bonne netteté. Un vin qui a parfaitement vieilli. Très Bien
Brunoise de Poires Comices au Citron et Caramel, Glace à la Datte
Le programme initial du dessert a également été modifié, après un Gewurztraminer Oberer Weingarten Vendanges Tardives 1996 de Rolly-Gassmann malheureusement à nouveau liégeux. Le plat combiné une poire à chair ferme, relevé par une sauce au citron et au caramel, la glace à la datte servant d'accompagnement pour apporter de la richesse sans pour autant apporter trop de sucres dans le plat. Les Gewurztraminer de vendanges tardives étaient proposés dans des millésimes à maturité, ce qui permettait d'équilibrer le sucre résiduel avec la patine de l'âge. La fraîcheur du citron et de la richesse de la datte ont permis de faire des accords onctueux très agréables, même si c'est le vin de Marcel Deiss qui remporta la palme du meilleur accord, avec des arômes très proches du dessert. Le vin de Maurice Schoech, très agréable en dégustation pure, se montrait encore trop jeune pour accompagner le plat.
Gewurztraminer Vendanges Tardives 2001 – Marcel Deiss : la robe est dorée, brillante, le nez est très parfumé, avec du raisin sec, de la verveine citronnée, des fruits exotiques, évoluant sur la pâte de coing. La bouche est ample en attaque est très charnue, le moelleux étant bien intégré, donnant une finale sur la confiture de mirabelle. C'est un vin ample et onctueux qui arrive doucement à maturité. Excellent
Gewurztraminer Vendanges Tardives 2005 – Maurice Schoech : originaire du Vogelgarten et du Kaefferkopf, le vin se montre très intentionné avec une présence de fruits exotiques, d'agrumes, et de miel de fleurs. La bouche est riche, acidulée, très élégante, mais manque de puissance face au plat. Excellent
Gewurztraminer Brandhurst Vendanges Tardives 2001 Rolly-Gassmann : déguster en fin de repas, à l'aveugle, c'est un vin au nez d'une grande jeunesse, fruitée et légèrement épicée, qui se montre équilibré, ample et gras avec de la pulpe en bouche. Un très grand terroir qui a donné un vin de très grande garde. Excellent
Contre toute attente, la soirée n'a pas été une succession de vins sucrés et fatigants, les variations de millésime et d'équilibre ayant permis de créer une grande diversité d'accords. Parmi les accords mémorables on retiendra ceux du nem de canard confit avec le Clos Windsbuhl 1988 de Zind Humbrecht, la lotte et le gewurztraminer Grand cru Altenberg de Bergheim 1983 de Gustave Lorentz, ou encore la Brunoise de poires comices avec la vendange tardive 2001 de Marcel Deiss. Une soirée qui devrait donner des idées pour les prochains repas, à la maison ou au restaurant, de manière à sortir le gewurztraminer des traditionnels apéritif, fromage et dessert, afin de le replacer au milieu du repas. Les plats ont été finement dosés côté épices, afin de surprendre aucun participant, néanmoins la puissance des vins suggère qu'il serait possible de les servir sur des plats beaucoup plus relevés. Peut-être le thème d'un prochain repas…
Thierry Meyer
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