L'Oenothèque Alsace

Gewurztraminer et cuisine aux épices (16/02/08)

Si le riesling est le cépage roi en Alsace, il l’est également ailleurs dans le monde, que ce soit en Allemagne, Autriche, Australie ou Canada. A l’opposé le gewurztraminer est certainement le cépage le plus emblématique de la région, car peu cultivé ailleurs avec autant de succès. Bien souvent, lors de dégustations le gewurztraminer est associé spontanément au fromage de Munster, mais aussi à la cuisine aux épices (à ne pas confondre à la cuisine pimentée !). Dans la pratique pourtant, peu osent sortir le gewurztraminer lorsque les épices s’invitent à table, en dehors du dessert. Le premier dîner public de l’année 2008 était consacré à des accords parmi les plus beaux de la région, et le résultat était à la hauteur des attentes des participants. Deux vins du Jura servis à l’aveugle dans le lot ont en outre montré les similitudes des savagnins ouillé avec les gewurztraminers secs. De 2005 à 1964, voilà un compte rendu qui mettra en appétit, et donnere des idées pour sortir les gewurztraminers plus souvents de la cave.

Apéritif : la carafe mélange

Pour découvrir le cépage en brouillant les pistes du millésime et du terroir, un mélange à parts égales de Gewurztraminer Oberer Weingarten 1988 de Rolly-Gassmann et de Gewurztraminer Grand Cru Rosacker 2000 de la Cave de Hunawihr donne un vin finalement équilibré, au nez complexe de fruits exotiques, de fleurs et d’épices, ample et souple en bouche avec un moelleux fondu et une finale épicée. Le gewurztraminer est lié par son nom (gewurz-traminer, traminer épicé en allemand) à la notion d’épices, et on retrouve ici tous les ingrédients d’un gewurztraminer classique : les fruits exotiques, les épices, avec un corps ample et généreux, plus ou moins doux.

Crêpe farcie de Volaille aux Epices Tandoori

Plat déjà réalisé par le passé, la crêpe farcie est épaisse, le mélange d’épices tandoori apportant une fine touche indienne. Il faut un vin de puissance similaire avec un caractère épicé qui fera un bon liant. L’Altenbourg est magnifique mais s’impose par son terroir et par son millésime, écrasant complètement le plat. Les Archenets se montre d’une bonne complexité et semble convenir au plat, mais manque de puissance et se fait dominer par la crêpe. Enfin, le savagnin ouillé du Jura servi en pirate est sec et se montre délicat à boire pour les palais non habitués, pourtant c’est son corps et son acidité qui vont chercher le gras de la crêpe avant de réaliser un bel accord sur les épices.

Gewurztraminer Altenbourg 2005 – Paul Blanck : Un botrytis de qualité a donné un Altenbourg aux arômes de rose et de pralin, ample et profond en bouche avec une grande finesse. Un très qui rappelle les vins du domaine Weinbach. Très Bien

Gewurztraminer Les Archenets 1990 – Josmeyer : Le nez est complexe, avec des épices, du cuir, des notes fumées. La bouche est sèche, de demi-corps, pure avec une finale épicée. Bien

Arbois savagnin ouillé cuvée des poêtes 2005 – Ligier Père et Fils : un vin du Jura en pirate pour troubler les esprits, et une superbe cuvée au nez à la fois fruité, floral et épicé, qui évolue sur une bouche ample, sèche et dense. La finale possède une bonne acidité et donne de la fraîcheur à l’ensemble. Très Bien

Dos de Skrei à la nage, épicé au Curry, Légumes oubliés

Le Skrei est un poisson noble, jeune cabillaud des mers du Nord à la chair d’une blancheur nacrée extrêmement fine. Servi à la nage, on regrette après le premier plat que le curry soit si discret, les participants initialement effrayés par une éventuelle surcharge d’épices s’étant pris au jeu sur le premier plat. Après le caractère épicé des premiers vins, le terroir fait une apparition brillante par delà le cépage, avec deux vins magnifiques qui vont réaliser des accords sur le poisson. Le Zinnkoepflé possède un mélange d’élégance et de puissance intéressant, mais possède un moelleux pas complètement fondu qui gêne l’accord avec le plat. Un millésime plus ancien ou un peu plus de carotte ou de panais dans la poêlée de légumes aurait rectifié l’accord. Le Clos Windsbuhl est un vin techniquement sec qui réussit à mettre en avant le goût du poisson sans dominer le plat, apportant sa contribution à un accord vraiment exceptionnel.

Gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé 2001 – Seppi Landmann : un vin fruité au nez délicat sur la délicatesse du litchi avec une pointe de grillé, tendre et très minéral en bouche avec une belle acidité et un moelleux encore présent. La finale est longue pour ce vin qui vieillira à merveille. Excellent

Gewurztraminer Clos Windsbuhl 1997 – Zind-Humbrecht : Un gewurztraminer sec (4 g/l de sucre restant), au nez net, fumé et puissant, ample et sec en bouche avec du corps, et l’acidité fine qui accompagne longtemps la finale des vins du Clos. Conséquence d’un vin mûr qui fermente tous ses sucres, une pointe d’alcool se ressent en finale mais reste très en deçà de la sensation qu’on pourrait avoir avec un vin qui titre tout de même 16 degrés. Pas de botrytis en 1997 pour cette cuvée idéale pour la gastronomie. Excellent.

Nem de Canard Confit au Poivre Penja, Wok de Légumes au Gingembre

Le nem de canard confit avait été accompagné avec succès par des rieslings 1990 il y a quelques années, et rectifié au poivre africain et au gingembre, allait prendre une dimension nouvelle sur deux gewurztraminers de style très différents. Le nem est servi sur une ardoise avec ses légumes en accompagnement, et une sauce relevée proposée à part mixant huile de sésame grillé avec une réduction de vinaigre balsamique et d’épices. Le puissant Rodelsberg de Marc Tempé se montre magnifique sur la chaire du canard à condition d’être accompagné de sauce et de légume, avec suffisamment d’acidité pour supporter tous les accompagnements. C’est un accord gourmand très intense. Le Seigneur de Ribeaupierre de Trimbach, magnifique de précision et de pureté, préfère le canard sans trop d’accompagnements et fait ressortir la note de poivre du plat. Deux accords magnifiques une fois de plus, qui placent le gewurztraminer comme vin parfait sur une cuisine riche en goûts.

Gewurztraminer Cuvée des Seigneurs de Ribeaupierre 2001 – Trimbach : Originaire pour partie des grands crus de Ribeauvillé et Beblenheim, voilà un grand vin très minéral, parfaitement vinifié dans le style de la maison. Le nez est aromatique, la bouche profonde avec du gras et une précision remarquable dans la longue finale. Un vin de gastronomie qui gagnerait à être mis en avant. Excellent

Gewurztraminer Rodelsberg 2003 – Marc Tempé : dernier millésime monocépage produit sur ce terroir, le vin intègre à merveille un élevage en barrique, et propose une structure ample, profonde et minérale avec une note de pralin et des tanins en finale. Excellent

Les Fromages de Jacky Quesnot

Le Gewurztraminer Réserve Spéciale Vendanges Tardives 1976 du Domaine Weinbach est malheureusement bouchonné, mais il nous reste trois autres vieux vins pour accompagner les fromages. La Tour de Charolais se marie à merveille avec la complexité du vin sec de Paul Ginglinger, tout comme le Rouergue produit avec du lait de brebis, plus onctueux et qui s’accommode fort bien de la Cuvée Christine. Le Comté de 32 mois ne laisse aucune chance aux autres vins une fois associé au 1964 de Paul Ginglinger, et le Roquefort. Le Brand 76 est trop léger pour ne pas se faire écraser par ces fromages riches en goût sélectionnés par notre maître fromager colmarien.

Gewurztraminer Cuvée Christine 1990 – Domaines Schlumberger : Le nez est intense, net et complexe, avec des arômes de miel, de pain grillé, de  noisette et une pointe de fumée. La bouche est moelleuse, douce et fondue, avec une légère amertume en évolution et une finale ronde sur le caramel salé. Une belle cuvée à maturité, qui a tout de même déjà bien évolué. Le terroir grès du Kessler dont est issu le vin donne généralement des vendanges tardives à l’évolution plus rapide dans les millésimes très chauds. Très Bien

Gewurztraminer Coteaux du Brand 1976 – Cave de Turckheim : un vin encore jeune au nez avec des épices et de la fleur fanée, élégant et aérien en bouche avec des épices d’une grande finesse. Un vin qui a bien vieilli et qui se montre très agréable. Bien.

Gewurztraminer 1964 – Paul Ginglinger : un vin originaire du grand cru Eichberg, récolté à 14.5 potentiel et qui a fermenté complètement pour donner un vin sec. La robe est claire, le nez est d’une grande netteté, complexe et fondu avec des arômes de fruits secs, de miel, de fleur séchée. La bouche est souple à l’attaque, puis très pure avec une acidité présente combinée à une matière bien concentrée, donnant un équilibre aérien qui laisse apparaître des arômes de miel et de fleurs séchées en finale. Un vin magnifique qui passé une grande partie de sa vie dans l’Oenothèque de la Confrérie Saint Etienne, ce qui lui a permis de conserver un bouchon dans un état impeccable. Ce sera pour moi le vin de la soirée, un vin de terroir exemplaire de ce que l’Alsace sait produire de grand. Excellent

Tarte minute aux Pommes et Cannelle, Glace Vanille Bourbon

La tarte minute et sa pâte fine sont un prétexte pour un saupoudrage généreux de cannelle finement moulue. Avec le curry, c’est l’épice parfaite pour accompagner un dessert lorsqu’on choisit parmi les moelleux alsaciens le gewurztraminer plutôt qu’un pinot gris. Son caractère sec fait qu’il faut du moelleux pour l’enrober, à l’image du glaçage obligé des « cinnamon rolls », et c’est le coté caramélisé de la tarte ainsi que la glace vanille qui vont aller chercher l’alliance nos vins. Le Gewurztraminer de Hugel est une merveille qui rappelle s’il le fallait encore l’intérêt de garder ces vins plusieurs années. La finesse du vin permet de s’associer à la tarte sans trop de problèmes, renforçant le caractère caramélisé du plat. La sélection de grains nobles se boit pour elle seule, la puissance de la liqueur et la profondeur du terroir en faisant un produit exceptionnel à associer pour lui. On reverra l’accord dans 10 ans lorsque l’ensemble aura gagné en fondu. Le vin du Jura se montre trop sec pour accompagner la tarte, sauf à rajouter une dose massive de cannelle sur les pommes.

Gewurztraminer Vendanges Tardives 1994 – Hugel et Fils : récolté à 18 degrés potentiels, le vin est délicat au nez avec des arômes de pêche, de tarte tatin et une pointe de fumée. La bouche est moelleuse, fine et veloutée, avec des arômes de pêche et de fruits confits. La finale est onctueuse, longue avec une liqueur très présente. C’est la vendange tardive la plus riche jamais produite par le domaine, et ce 94 ira très loin. Excellent

Gewurztraminer Grand Cru Sonnenglanz Sélection de Grains Nobles 1998 – Bott-Geyl : Le vin prend cette fois une profondeur exemplaire renforcée par le caractère très pur du millésime Un nez confit marqué comme de nombreux 98 par les fruits rouges et le mie, une bouche pure, minérale et très ample forment un ensemble qu’on a envie de boire par petites gorgées, histoire de laisser le vin tapisser toutes les parois de la bouche. Encore très jeune, il faudra le regoûter dans quelques années. Très Bien

Savagnin Sélection de Grains Nobles 2002 – Alain Labet : une sélection de grains nobles qui n’a rien à voir avec un vin moelleux ou liquoreux, puisqu’on est plutôt sur un équilibre de savagnin ouillé issu de raisins très mûrs. Les épices dominent le nez, et la bouche sèche tranche avec les vins précédents. Il aurait fallu servir ce vin sur l’un des plats car il dispose de beaucoup de finesse et d’une longue finale. Très Bien

Parfois dubitatifs sur la capacité du gewurztraminer à procurer de grandes émotions à table, les participants ont été surpris par la qualité des accords mets/vins proposés lors de ce diner. Les épices et une certains cuisine riche appellent certes des vins plus riches et plus amples que la gastronomie française classique et ses vins fins, mais loin du traditionnel contraste entre un vin sucré et un met épicé, le cépage a su faire valoir ses atouts une fois décliné sur les meilleurs terroirs.

Le Gewurztraminer est trio souvent réservé au munster, ou au dessert, parfois à l’apéritif. L’expérience de ce diner rappelle qu’on put le prendre sur du poisson, de la volaille, et sur une multitude de fromages à condition de ne pas oublier de se préoccuper du terroir d’origine, du millésime et de l’âge du vin. Des réflexes que les amateurs de vin ont déjà acquis avec le riesling…

Thierry Meyer

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