Samedi 08 novembre 2008 – Restaurant La Taverne Alsacienne – Ingersheim
Le roi des cépages alsaciens est également le roi des accords mets et vins, grâce à des styles très variés : fidèle révélateur des terroirs dont il magnifie la minéralité en bouche, le riesling se décline également à merveille sur toute l’échelle de la surmaturité, du vin le plus sec aux sélections de grains nobles les plus épurées. S’il est frais et fruité dans les jeunes années, le vieillissement apporte de l’élégance et de la complexité à son bouquet.
L’édition 2008 fut plus un atelier de recherche qu’une démonstration de ce qui fonctionne, la grande variété des vins rencontrés ayant donné du fil à retordre aux participants pour trouver le nirvana des accords mets&vins. Une expérience toutefois intéressante pour comprendre les tenants et aboutissants des accords mets&vins.
En amuse-bouche, Taboulé de Cabillaud, émulsion de citron vert
L’amuse bouche permet traditionnellement de déguster des vins du dernier millésime mis en bouteille, et pour célébrer le grand millésime 2007, les deux appellation sont été mises à contribution : deux vins secs, l’un parfaitement vinifié et élevé par Guillaume Rapp dans l’AOC Alsace proposait le style variétal presque parfait, sans la surmaturité et son cortège de fruits exotiques, ni sous-maturité et ses arômes d’agrumes verts voire d’herbe coupé. Le Grand Cru Kaefferkopf de Maurice Schoech, première année que le célèbre lieu-dit accède enfin à l’AOC Alsace Grand Cru, a tenu son rang avec une salinité remarquable qui caractérise ce terroir à majorité granitique. La fine texture du taboulé aux grains très fins et le caractère iodé du cabillaud cru se marient remarquablement avec la salinité du Kaefferkopf pour procurer un des plus beaux accords de la soirée.
Riesling 2007 – Jean et Guillaume Rapp : un vin techniquement sec, ample avec ne acidité mûre qui est parfaitement intégrée. Facile à boire. Très Bien
Riesling Grand Cru Kaefferkopf 2007 – Maurice Schoech : le nez est aromatique, légèrement surmuri, laissant place à une bouche ample, minérale à souhait avec une acidité droite qui donne de la longueur. Les 5g/l de sucre résiduel passent inaperçu tant la salinité est importante. Très Bien
Compressé de Foie Gras de Canard et Chutney de mangue, ananas et sésame
Un plat délicieux qui appelle des vendanges tardives, mais pas n’importe lesquelles. Si les deux vins jouent sur le registre aromatique des écorces d’agrume et sur un contraste entre moelleux et amertume en bouche, les deux terroirs donnent un répondant différent. Le terroir de schiste du Kastelberg et le millésime 2006 font une belle alliance sur le caractère animal du plat, l’amertume relavant le caractère gras du plat. En revanche, le chutney est à éviter car le sésame entre en dissonance et les fruits confits assomment le vin. Le Brand VT 95 est un vin puissant doté d’une forte liqueur, le terroir granitique apportant un peu de légèreté pour éviter que le vin ne sot trop massif. Ce vin s’accommode parfaitement du chutney et le caractère grillé du vin se plait même à jouer avec le sésame. Mais du coup le foie gras passe un peu inaperçu. Trouver le juste milieu tant coté plat que coté vin consistait à trouver le bon dosage de chutney à associer à un morceau de foie gras, et à l’associer à une gorgée de vin de la bonne quantité. Un exercice intellectuel passionnant, mais éprouvant !
Riesling Grand Cru Kastelberg Vendanges Tardives 2006 – Guy Wach : une grande réussite de ce millésime 2006, ce Kastelberg offre un nez d’épices marqué par le safran avec une pointe citronnée, et une bouche suave, ample très pure avec une finale florale très délicate. Excellent
Riesling Grand Cru Brand Vendanges Tardives 1995 en Magnum – Zind Humbrecht : la robe dorée est suivie par un nez très surmuri, aux accents d’écorce d’orange et de mandarine avec une pointe grillée. La bouche est encore très confite, moelleuse avec une acidité franche. Le vin est à maturité mais propose encore un équilibre très puissant qui méritera un plat corsé. Excellent
Filet de Bar de line, Artichauts rôtis et Chips de Topinambour
Un poisson fin servi d’un accompagnement complexe et puissant est la bonne occasion de tester plusieurs styles de vin différents. Le Schlossberg de terroir granitique est surmuri malgré un moelleux fondu, élégant et finement acidulé il possède une minéralité discrète qui ajoute à l’élégance de l’équilibre. Mais il ne trouve pas de point d’ancrage particulier avec le plat ; il faut faire des bouchées complètes avec tous les ingrédients, que l’ampleur du vin viendra enrober. Le Kitterlé se marie parfaitement bien avec le poisson seul, mais les artichauts lui rehaussent son caractère amer souvent typique du terroir gréso-volcanique. Les chips de topinambour forment en revanche un accord violent et contrasté. La cuvée les Murailles 1979 se montre plus évoluée avec un caractère très sec, et apprécie le liant créé par l’artichaut pour aller chercher les saveurs du poisson. Le vin est moins consensuel mais l’accord très intéressant
Riesling Grand Cru Schlossberg Cuvée Sainte Catherine "L'inédit" 1998 en Magnum – Domaine Weinbach : le nez est très parfumé, grillé fumé, avec une note d’orange amère. La bouche est ample avec un moelleux fondu, et une fine acidité qui lui donne beaucoup de netteté. Un vin encore jeune qui impressionne par sa puissance. Excellent
Riesling Grand Cru Kitterlé 2001 – Domaines Schlumberger : le nez est très minéral au sens aromatique du terme, avec des arômes de pierre à fusil et de fumée. La bouche évoque également la pierre tant le vin est sec et minéral, avec un caractère presque salé qui fait saliver. La finale sur le citron laisse une impression longue en bouche. Excellent
Riesling Les Murailles 1979 – Dopff&Irion : Marqué par l’évolution, le vin présente un nez torréfié (pain grillé, café) avec une pointe terreuse qui disparaît à l’aération au profit de notes pétrolées. La bouche est franche, puissante et surtout sèche, manquant peut-être un peu de gras et de maturité pour être parfait. Très Bien
Poitrine de Volaille de Bresse en Pot au Feu
Comme la soirée est consacrée aux accords avec le riesling, il ne fallait pas se al imiter au traditionnel poisson. La volaille de Bresse et son bouillon accompagné de raifort sont en fait des candidats idéaux pour des rieslings puissants. Le bouillon est riche en goût et de fait très puissant, et c’est le terroir de l’Altenberg qui s‘en accommodera le mieux par son coté crémeux. Le Hengst possède plus de caractère et accompagne la volaille avec élégance. Dans les deux cas, le raifort a plus joué les trouble-fêtes, il aurait été plus à l’aise avec un riesling jeune et plus nerveux, même en AOC Alsace.
Riesling Grand Cru Hengst 2000 en Magnum – Josmeyer : le nez est encore très jeune avec des arômes de citron vert et de framboise, la bouche est profonde, dense et minérale avec une pureté remarquable. L’ensemble termine très long en bouche. Une grande réussite dans un millésime peu réputé pour ses grands rieslings. Excellent
Riesling Grand Cru Altenberg de Bergheim 1995 – Gustave Lorentz : La robe est dorée, le nez miellé avec des notes de fruits mûrs et une pointe de pétrole. La bouche est puissante, ample avec un équilibre plutôt gras que moelleux, la confusion étant parfois présente chez ceux qui ne boivent que des rieslings maigres et acides. Un vin qui évoluera encore de nombreuses années. Très Bien
Les Fromages affinés par Jacky Quesnot : Chabi du Poitou, Brillat Savarin, Parmesan
L’exercice des accords entre riesling et fromage fait moins de place au terroir qu’au millésime, le caractère plus ou moins jeune ou plus ou moins botrytisé donnant des résultats souvent très variables. Riesling et fromage, un atelier qui mériterait à lui seul une soirée complète. Le Schlossberg est vinifié sec, et possédant peu de botrytis, il accompagne très bien Chabi du Poitou. Les dernières gouttes de Hengst vont également bien sur ce fromage frais. Le Brillat-Savarin se montre plus sec avec le Schlossberg qui manque de puissance, puis plus crémeux sur le Rorschwihr qui finit quand même par lui donner un coté plus sec. Le parmesan est le fromage qui provoque les plus de sensations sur les deux vins. Le Schlossberg est un peu trop léger et sec, et se montre ultra-amer au contact de ce fromage. Le Rorschwihr est plus à l’aise mais supporterait d’avoir encore plus de liqueur. Un riesling en sélection de grains nobles serait peut-être le vin idéal sur ce fromage.
Riesling Grand Cru Schlossberg 1994 en Magnum – Paul Blanck : un vin frais et fruité malgré son âge, l’absence de surmaturité lui ayant permis de conserver des arômes floraux en fin de bouche qui lui donnent beaucoup d’élégance. Très Bien
Riesling Rorschwihr Cuvée Yves Vendanges Tardives 2000 – Rolly-Gassmann : un vin riche au nez de fruits jaunes, de citron confit laisse place à une bouche très pure, moelleuse et saline, avec une belle acidité. Très Bien
Soupe d'Agrumes et Passion, verveine citronnée
Le mélange d’agrumes et de fruit de la passion baignant dans une verveine citronnée, recouvert par une boule de glace vanille est un dessert délicieux, rafraichissant les papilles et se dégustant sans faim après un repas déjà bien chargé. Les trois rieslings de surmaturité et d’âge variés vont chercher des aspects différents du plat, aucun ne réalisant la difficile tache de convenir à l’ensemble du plat. Le riesling de Hauller est léger, facile à boire, fruité et délicieux dès aujourd’hui, mais manque un peu de corps et les fruits en font ressortir l’amertume. Le Zinnkoepflé de Seppi Landmann est magnifique, mais trop complexe pour un dessert car on sent une minéralité très présente qui ne trouve pas le change dans le plat. Même si la vanille fournit un très bon liant avec ce vin du millésime 2005. Enfin, le Clos Saint Landelin montrait des signes d’évolution typiques du terroir calcaire avec une pointe d’oxydation qui elle n’était pas attendue ni désirée, mais il s’est trouvé un bon compagnon avec la verveine citronnée qui lui a permis d’accompagner la soupe d’agrumes de manière harmonieuse.
Riesling Vendanges Tardives 2005 – Louis Hauller : un vin fruité au nez d’agrumes confits et de mandarine, moelleux et acidulé en bouche avec une finale sur l’orange amère. A boire dès à présent. Très Bien
Riesling Grand Cru Zinnkoepflé Vendanges Tardives 2005 – Seppi Landmann : le nez est très élégant avec des fleurs blanches, des agrumes frais, une pointe de pralin. La bouche est tendue, saline et concentrée avec un moelleux bien intégré. Le vin est déjà très gastronomique et on ne pense pas au dessert en le dégustant. L’écart qualitatif lié aux deux appellations Alsace et Alsace Grand Cru est ici évident, avec un Zinnkoepflé qui vieillira bien sur de nombreuses années. Excellent
Riesling Clos Saint Landelin Sélection de Grains Nobles 1990 – René Muré : la robe fortement dorée et le nez un peu fatigué font penser à une légère oxydation anormale sur cette bouteille. Le nez conserve des arômes de thé et de verveine, et l’équilibre en bouche se montre moelleux avec une liqueur fondue qui possède la même puissance qu’une vendange tardive récente. Un vin à maturité qu’il aurait fallu essayer sur le parmesan. Bien
Les plats un tant soit peu travaillés se marient à merveille avec de grands vins, mais trouver l’accord parfait est difficile car de nombreux paramètres rentrent en compte. Une technique est de réduire le nombre d’ingrédients pour trouver le terroir ou le vin qui sonne juste, une autre idée est de prendre des vins très puissants ou très discrets qui domineront ou se laisseront dominer par le plat. Les recettes de cuisines souvent publiées dans les magazines évitent justement de tomber dans l’excès d’ingrédient, et si l’objectif est de trouver une bonne association, mieux vaut dans un premier temps ne pas tomber dans trop d’originalité. A moins d’aller sur un forum de discussion autour du vin poser la question qui tue du genre « que boire avec un tartare de veau à la vanille surmonté d’une tranche de thon mi-cuit à l’orange et de cornichons au Nutella » !
En tout cas de par leur salinité propre les grands crus alsaciens sont des volcans à table, souvent endormis ils l’attendent que le déclic d’un ingrédient principal ou secondaire pour se réveiller. En particulier, les sensations ressenties en dégustation pure ne se retrouvent pas systématiquement à table en accompagnement d’un plat qui va rehausser l’une ou l’autre saveur du vin.
Thierry Meyer
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