22 octobre 2006 – Bourgogne et Alsace donnent deux expressions du pinot noir : des terroirs, des méthodes de culture, de vinification et d’élevage différents donnent a priori des vins très distincts, avec une supériorité relative de la Bourgogne, qui fait qu’on juge généralement les bons pinots noirs alsaciens « presque aussi bons qu’un bourgogne ». Est-ce que tout cela se sent dans le verre ? Sans vouloir être exhaustif, le repas autour d’un bœuf bourguignon a été l’occasion de tester des paires de vin à l’aveugle, sans voir la forme de la bouteille bien entendu, et de tenter d’y comprendre le style d’un Bourgogne ou d’un Alsace. Un exercice bien instructif, ponctué de quelques intéressants vieux millésimes.
Mise en bouche avec des crevettes au curry, à l’aneth et du saumon fumé sur blinis
Muscat 1966 – Klack-Birgert (Riquewihr) : La robe est intense, profonde, dorée avec des reflets cuivrés. Le nez initialement discret s’ouvre à l’aération avec des arômes de cuir, de menthe èche, de chocolat, gagnant en netteté avec le temps. La bouche est fraîche en attaque, puis grasse avec une trace de fruit cachée derrière des arômes tertiaires. Un vieux muscat évolué, qui se goûte encore agréablement. Bien
Sylvaner 1975 – Zind-Humbrecht : le vin se montre plus vieux que le précédent, le nez étant légèrement oxydé avec des notes de fleurs et d’herbes séchées, avec une trace de champignon. La bouche est sèche, épicée, sur le déclin aromatiquement. Petit millésime et bouchon moyen, le vin ne tient plus trop la route. Bof.
Première paire de vins de 2003 sur un Cake salé à la mozzarelle et tomates séchées
La première paire fait apparaître la différence de style typique entre les deux régions, sur un millésime inhabituellement chaud dans les deux régions.
Bourgogne 2003 – Bernard Dugat-Py : la robe est de couleur cerise noire, avec des reflets violacés. Le nez est ouvert, intense et net, sur la cerise, la framboise, légèrement boisé avec une pointe épicée. La bouche est fruitée, souple avec une bonne acidité. L’ensemble est concentré avec une finale longue, marquée par des tanins encore présents. On pense à un Bourgogne par l’élevage et la concentration. Très Bien
Pinot Noir rouge 2003 – Maurice Heckmann (Dahlenheim) : la robe est rouge rubis, légèrement tuilée sur les bords. Le nez est plus discret, fumé et épicé avec un fruité simple mélangé à des notes de fût. La bouche est souple et légère en attaque, évoluant sur un caractère de fruit frais qui tire vers l’amylique. La finale est de bonne longueur, restant sur le caractère souple et fruité. Un vin qui rappelle l’Alsace, avec une vinification maîtrisée dans le millésime ou la surextraction a donné des monstres rugueux. Très Bien
Sur le Bœuf Bourguignon, le millésime 2002
Grand millésime en cote de Nuits, petit millésime pour le rouge en Alsace, les régions ont des profils très différents sur le pinot noir. Coté bourgogne, la profondeur en bouche apportée par les terroirs s’affirme, indépendamment de la concentration et de l’extraction des vins.
Pinot Noir Rotmurlé Terrasses 2002 – Pierre Frick (Pfaffenheim): La robe est rouge claire avec des reflets tuilés, montrant de belle larmes épaisses. Le nez est épicé, légèrement végétal avec des arômes de lierre, de terre et une pointe de caramel, évoluant vers la vanille. La bouche est fraîche en attaque, puis de bonne concentration, profonde avec un retour du boisé en finale. Un beau vin issu d’un beau terroir, qui évoque l’Alsace. Bien
Vosne-Romanée 2002 – Domaine Guyon : la robe de couleur rouge cerise montre des reflets rubis, avec de belles larmes. Le nez est intense sur un boisé démonstratif, avec des notes toastées qui tirent vers le cola, puis à l’aération cassis et mûre font leur apparition. La bouche est riche, ample en attaque avec une assez bonne concentration, montrant une belle maturité. La profondeur est moyenne. On devine un Bourgogne de terroir assez bon sur l’année mûre. Bien
Gevrey Chambertin 1er Cru Petite Chapelle 2002 – Rossignol Trapet : La robe est rouge rubis avec des reflets tuilés, montrant un jambage épais dans le verre. Le nez est parfumé, riche, épicé et fumé avec une évolution vers la pivoine et la violette à l’aération. L’attaque en bouche est racée, riche mais marquée par des tanins fermes. Le vina de la profondeur mais est enrobé par une couche de tanins qui lui donne actuellement un coté rugueux et une finale sèche. Un Bourgogne en phase de fermeture. Bien
Clos Saint Denis 2002 – Georges Lignier : La robe est rouge rubis clair, avec des reflets tuilés et de belles larmes. Le nez est parfumé, fumé avec des notes de pain grillé, évoluant sur des arômes de torréfaction plus complexes : caramel, café. L’attaque bouche est souple, puis le vin se montre concentré, profond tout en conservant un coté léger. Un beau terroir bourguignon très bien vinifié. Très Bien
Deuxième service de Bourguignon et millésime 1999
Nouveau challenge pour le millésime 1999, très grand en Bourgogne et bon en Alsace. Les terroirs montrent de la profondeur, mais la différence se fait sur les vinifications.
Pinot Noir Barriques 1999 – Romain Fritsch (Marlenheim) : La robe est rouge cerise avec des reflets rubis, montrant de belles larmes. Le nez est parfumé, avec des arômes de fraise, de fumée et une note animale. L’attaque en bouche est souple, puis le vin se montre gras, frais avec des tanins marqués. Le milieu de bouche montre une bonne profondeur, ce qui est normal, le vin étant originaire du grand cru Steinklotz, mais la finale termine sec. Une cuvée d’Alsace à garder. Très Bien
Volnay 1er Cru Les Angles 1999 – Lucien Boillot : La robe est rouge cerise noire, profonde et riche. Le nez est ouvert, d’intensité moyenne avec des fruits rouges et une pointe fumée. La bouche est ample en attaque, riche et très souple avec une grande concentration, évoluant sur des arômes de petits fruits noirs. La finale est très longue avec une belle présence aromatique. On reconnaît un grand bourgogne de noble origine. Excellent
Fromage et vieux millésimes
Le vieillissement des pinots noirs est réputé, lorsque le terroir le permet, aussi bien en Alsace qu’en Bourgogne, comme l’ont déjà montré de nombreuses dégustations.
Pinot Noir Burlenberg Vieilles Vignes 1989 – Marcel Deiss : la robe est rouge tuilée. Le nez est ouvert, épicé avec des arômes de lard fumé, évoluant sur l’olive noire, le lierre et un caractère épicé plus intense. La bouche est riche, épicée et très corsée dès l’attaque, avec de la profondeur et du gras. Le vin est concentré mais possède un caractère assez rustique pour un pinot noir, apportée par la force des calcaires du Burlenberg mais aussi par une extraction poussée. On imagine plus facilement un vin rouge du Sud de la France, difficile de déterminer s’il s’agit d’un Alsace ou un Bourgogne. Très Bien
Pinot Noir Réserve Personnelle 1985 – Hugel et Fils : L’ancêtre de la cuvée Jubilée « Les Neveux » est originaire du lieu-dit Pflostig entre Riquewihr et Hunawihr. Cette première cuvée a été élevée dans des barriques achetées à Mouton-Rothschild, qui ont vu passer l’excellent millésime 1982. La robe est profonde, rouge tuilé avec des reflets acajou. Le nez est parfumé, mûr et complexe avec des arômes de fruits mûrs, de fumée et de cuir, de sous bois, évoluant sur des épices et de l’encens. La bouche est souple en attaque, puis dense et profonde avec des tanins fins, mûrs et fondus. La fin de bouche est puissante, longue avec un caractère sec. L’équilibre est magnifique pour ce vin à maturité, qu’on pace volontiers en bourgogne sur un beau terroir. Excellent
Pommard 1er Cru Les Epenots 1983 – Joseph Voillot : La robe est brillante, rouge légèrement tuilé, avec un jambage fin. Le nez est ouvert, aérien avec des arômes de fleur, de cuir et de fruits rouges cuits. La bouche est moelleuse en attaque, puis fine et concentrée avec des tanins légèrement asséchant. L’équilibre est profond, racé avec une longue finale. Un très beau vin qu’on place sans hésiter en Bourgogne. A boire sans trop attendre. Très Bien
Echezeaux 1959 – Ed.Loiseau : la robe est rouge très clair, voire pelure d’oignon avec des reflets acajou. Le nez est complexe, tertiaire avec des notes de cuir, de sous bois, de fleurs fanées et de fruits cuits, évoluant sur la fraise et les épices douces. La bouche est tendre, souple en attaque avec du moelleux, suivi par une belle acidité qui renforce le caractère de fruits frais de la finale. La fin de bouche est longue et parfumée, un superbe équilibre pour un vin qui a très bien vieilli. Très Bien
On ne se lasse pas de goûter ces pinots noirs, les grands vins étant très digestes. L’Alsace et la Bourgogne font souvent jeu égal lorsque le terroir, la maturité des raisins et l’élevage sont pratiqués de manière similaire. Pourtant, la Bourgogne reste en tête lorsqu’il s’agit de très haut de gamme. Une dégustation à répéter régulièrement.
Thierry Meyer
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